On parle souvent, en thérapie, du lieu sécure. On entend par là un lieu où on peut se sentir en sécurité, protégé du danger et dans lequel rien ne peut nous arriver. Et il est souvent recommandé d’amener les patients à se mettre en lien, par l’esprit, avec ce lieu sécure, dans lequel il pourront se réfugier en cas de difficulté. Par exemple lors d’un travail sur un souvenir à désactiver.

Mais peut-on vraiment se sentir en sécurité quand on est réfugié, par exemple dans sa chambre, à l’abri du monde et de ses dangers ? Alors que le danger veille dès que l’on aura franchi la porte ?

Je ne crois pas que cela fonctionne de cette manière, et je préfère de loin ce que j’appelle le tiers sécure, ou la sécurité en relation. J’ai constaté des changements spectaculaires quand j’ai changé mon fusil d’épaule il y a quelques années, et que je me suis préoccupé de tiers sécure plutôt que de lieu sécure.

Alors, le tiers sécure, c’est quoi ? Et à quoi ça sert ?

Nous sommes des êtres de relation. Nous ne pouvons pas nous passer de relation. On voit bien comment, par exemple, dans le film

« Seul au monde », Tom Hanks souffre de la solitude, jusqu’à s‘inventer un compagnon imaginaire.

Le processus dysfonctionnel

Malheureusement, nos relations ne sont pas toujours très sécurisantes : on ne se sent pas vraiment reconnu, ou bien on a l’impression de devoir « mériter » l’attention qu’on nous porte. Ou alors on doit se plier aux exigences de quelqu’un pour obtenir son attention, sans parler de son amour. Ce qui fait qu’on ne se sent pas beaucoup de valeur, l’estime de soi, et sa sœur la confiance en soi, baissent inexorablement. Ou alors – et c’est en fait complémentaire – on préfère son autonomie, refusant de se plier aux exigences de l’autre. Mais alors on perd la relation avec lui, et on rencontre le vide de la solitude. C’est alors l’angoisse du vide qui monte.

Tout cela engendre de la souffrance. Alors, dans un processus automatique de protection, on se coupe de ses sensations, pour ne plus ressentir la douleur de la solitude, ou la souffrance de devoir se plier aux exigences de l’autre pour ne pas être seul. Ce qui amène à se couper du monde, des autres, car on perçoit la relation avec les autres à partir de ses sensations. C’est un cercle vicieux : on se coupe pour ne plus souffrir, mais plus on se coupe, plus les occasions de souffrance augmentent, car on perçoit de moins en moins bien ce qui fait la relation aux autres : le plaisir partagé d’être ensemble, les petits signes qui montrent la fierté ou la joie de l’autre quand on le voit, et tout ce qui fait qu’on sent que la relation est vivante. Ou alors on les perçoit, mais on s’imagine qu’il y a toujours une « bonne raison » à ça, et que cette bonne raison n’est pour finir que temporaire : l’autre ne nous apprécie pas pour qui on est, mais pour ce que l’on a fait. Et forcément… il faudrait être toujours en train de faire pour être reconnu ! Et on tente sans cesse de faire, d’acquérir des compétences qui finissent par nous décevoir, ou de tenter des solutions que ne marchent jamais.

On en arrive parfois à penser qu’il est tout simplement impossible d’avoir des relations « normales », c’est à dire simples et dans lesquelles on se sent vraiment bien.

Qui plus est, le processus fonctionne mal, car à un certain moment les choses basculent, et la souffrance qu’on voulait éviter finit par au contraire se focaliser. Alors on ne voit plus qu’elle ! L’enfer se met en place.

Cette description est bien sûr simplifiée, mais elle retrace le processus fondamental :

  • nous avons besoin de relations,
  • nous avons besoin d’être reconnus et aimés pour qui nous sommes,
  • et quand ce n’est pas le cas, nous balançons entre 2 pôles :
    • la maltraitance, quand on se plie aux exigences de l’autre pour garder la relation avec lui,
    • ou l’abandon quand on privilégie sa liberté d’être soi-même, au prix du rejet de l’autre.
  • S’installe alors un processus dysfonctionnel, dans lequel monte inexorablement la solitude, la peur et le mal être.

C’est ce qui est au cœur de la plupart de nos difficultés, qu’elles se soient installées au fil d’une histoire compliquée (manque affectif, harcèlement, environnement familial insécure etc.), ou brutalement à l’occasion d’un événement traumatisant (dans ce cas, ce qui était construit de relation sécure est détruit brutalement).

La relation sécure

J’aime regarder les jeunes enfants dans leur apprentissage. Ça m’a toujours frappé de voir un enfant faisant ses premiers pas : il cherche alors le regard approbateur de ses parents, et quand il le rencontre, il tente un nouveau pas, car le regard réjoui de ses parents l’encourage à aller plus loin. Il est reconnu sans condition, et ce qu’il fait réjouit ses parents. S’il fait un pas, ils sont heureux. S’il tombe, ils sourient quand même et l’encouragent à continuer d’essayer. Il n’a pas besoin de « performer » pour que ses parents l’aiment. Ils l’aiment, point ! Qu’il fasse un pas ou qu’il tombe. Et c’est cet amour inconditionnel qui lui permet d’apprendre à marcher, au-delà de ses essais et de ses échecs.

Cela résume bien ce que j’appelle une relation sécure. Une personne :

  • qui nous aime et nous reconnaît tels que nous sommes,
  • qui se réjouit avec nous de nos succès,
  • et nous aime au-delà de nos échecs et même quand elle n’est pas d’accord avec ce que nous faisons.

Avec une telle personne, nous nous sentons totalement en sécurité. Pas besoin de faire semblant, de se plier à son désir, de tenter de plaire. Pas besoin non plus de s’empêcher de faire ce qui nous semble bien, et pas besoin d’être parfait. Elle nous apprécie même dans nos imperfections.

De plus, et on le sent, notre présence enrichit la vie de cette personne. Elle se réjouit de nous connaître, car cela enrichit sa vie.

C’est d’avoir intégré l’expérience de cette relation sécure qui nous permet de nous épanouir, au-delà des difficultés de la vie.

A quoi ça sert ?

C’est d’avoir intégré l’expérience de cette relation sécure qui nous permet de nous connecter aux autre, à nos ressources et à notre créativité. Avez-vous remarqué comme on devient motivé et créatif quand on fait quelque chose en lien avec quelqu’un qu’on aime et qui nous aime ?

Avez-vous remarqué comme on est meilleur quand on travaille dans une équipe dans laquelle on se sent bien, et où l’on sait que l’on est apprécié ? Combien notre enfant s’investit dans une activité quand il sait que cela nous réjouit ? Combien ça nous fait plaisir quand on a préparé un bon repas et qu’on voit nos amis se régaler et partager leur plaisir ? Ça nous donne envie de continuer, de recommencer, d’aller plus loin. De prendre des risques aussi. On se sent stable et en sécurité.

Avoir intégré le tiers sécure, ça nous permet d’abord de nous sentir en confiance avec nos capacités et nos ressources. Et donc de faire face aux aléas de la vie. Le monde fait moins peur, car on a confiance dans sa capacité à trouver des solutions.

Nos relations sont bien meilleures, car nous sommes connectés à nos sensations, et nous percevons beaucoup mieux les réactions des autres : leur plaisir, leur inconfort, leurs interrogations ou leur envie de partage, tout cela nous devient accessible, car nous le percevons. Ce qui nous permet de nous sentir bien mieux avec eux, de mieux évaluer les situation et les gens, et au passage d’augmenter notre sécurité en relation.

C’est aussi la base de notre équilibre et de notre bien être mental. Ce qui nous donne notre résilience, notre capacité à nous remettre des chocs de la vie, à faire nos deuils… bref, à vivre « Imparfaits, libres et heureux », comme l’écrit Christophe André.

Restaurer la sécurité en relation est aussi une des bases de la thérapie, car c’est une des conditions premières pour que la thérapie fonctionne. Sans tiers sécure, il n’y a pas de technique qui fonctionne, fut-elle « miraculeuse ». Et on consacre souvent plus de temps à restaurer le tiers sécure qu’à désactiver les mauvais ancrages ou à réapprendre les compétences utiles.

Je terminerai par cette citation de Boris Cyrulnik : « Le paradoxe de la condition humaine, c’est qu’on ne peut devenir soi-même que sous l’influence des autres. »

Références :

  1. Julien Betbèze (Hypnose et Thérapies brèves – Hors Série n°11)
  2. Arnaud Zeman (Hypnose et Thérapies brèves – n°71)
  3. Doutrelugne, Cottencin, Betbèze, Megglé, Lampole, Likaj (Interventions et thérapies brèves : 12 stratégies concrètes)
  4. Boris Cyrulnik (Les vilains petits canards – Le laboureur et les mangeurs de vent)
  5. Christophe André (Imparfaits, libres et heureux)

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