Je déjeunais récemment avec un ami de longue date, qui travaille dans une de ces grandes ESN telle que celles où j’ai passé l’essentiel de ma carrière. Nous échangions sur le comportement des gens, et il me rapporta cette situation qui l’avait surpris : « Je voyais régulièrement une jeune femme qui me paraissait très désagréable, toujours râlant, toujours exigeante, toujours accusant ses interlocuteurs. Détestable ! Et puis un jour elle a démissionné, et du jour au lendemain elle est devenue charmante. Quand j’ai cherché à savoir ce qui se passait pour qu’elle soit si désagréable, j’ai compris qu’en fait elle jouait un rôle pour se donner de l’importance et pour être prise au sérieux ! »
Cela m’a fait penser à une anecdote, que j’ai vécu dans la même entreprise. Nous étions 2 à avoir monté une proposition commerciale, une collègue et moi. Lors de la revue de proposition, faite par un directeur que je ne connaissais pas, ce dernier s’est montré particulièrement désagréable : critiquant tout, sans proposition d’amélioration, ironique et acerbe. Je suis sorti de cette réunion dépité et furieux contre ce personnage imbu de lui même et totalement improductif. Nous avions une proposition retoquée, sans avoir vraiment d’éléments pour l’améliorer. Comme je constatai que ma collègue prenait la chose avec beaucoup de philosophie, je lui demandais si elle n’était pas choquée, ce à quoi elle a répondu : « Il était dans son rôle » !
Le rôle de cette personne était de valider la proposition, et si elle n’était pas validable, il est normal qu’elle ait été retoquée. En revanche, son rôle n’impliquait pas que ce responsable soit désagréable. Au contraire, il aurait emporté de l’adhésion en se montrant professionnel et sympathique, et accéléré la production d’une meilleure proposition en faisant des critiques constructives (quelque chose comme un sandwich bien classique). Il aurait bien mieux rempli son rôle, qui était pour finir peut-être plus de faire partir une bonne proposition plutôt que retoquer une mauvaise.
Un certain nombre de managers se croient obligés de se donner de l’importance en se montrant désagréables et distants. Dans leur poste, ils jouent un « rôle », comme ces acteurs antiques qui mettaient pour jouer des masques conformes à leurs rôles. C’est symbolique, c’est parfois puissant, c’est protecteur aussi (derrière le masque, on se croit moins exposé), mais est-ce efficace ? Je ne crois pas. Au contraire !
Et si, au lieu de chercher à rentrer dans son rôle, on cherchait à remplir sa mission ? Cela permettrait sans doute de meilleures relations de travail, une plus grande efficacité, et une meilleure collaboration.
Et peut-être aussi de mieux comprendre la mission de chacun…
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J’apprécie beaucoup cet article qui traduit bien le phénomène de transformation chez certaines personnes amenées à endosser le costume d’une personnalité en complet décalage avec leurs valeurs profondes. J’ai pour ma part toujours été sidéré de ce type de mutation qui s’opère souvent assez brutalement, faisant d’une personne aimable et bienveillante, un être carapacé, dénué d’humanité, tortionnaire, juge et parfois bourreau chargé de l’exécution de la peine capitale. Un changement d’état en quelque sorte, un peu comme le passage de l’état liquide avec sa douceur et sa fluidité, à la froideur et la dureté de l’état solide. Tout se passe souvent comme si c’était le seul itinéraire possible pour accéder aux responsabilités, suscitant l’admiration au sein de la hiérarchie, la crainte ou la terreur chez les subalternes (du moins considérés comme tels), et la déception de ceux dont le sens des valeurs prime avant tout.
En somme, comme pour les 2 articles précédents que j’ai également beaucoup appréciés, il s’agit d’abord de répondre à un besoin fondamental de tout être humain : celui d’être traité en égal. Ce qui se traduit par l’écoute, la considération, la courtoisie et le respect de la dignité d’autrui. Partant de là, l’ambition et les certitudes d’un seul ont toutes les chances de céder assez naturellement la place à l’expression des imaginations, le renforcement des savoir-faire et de l’autonomie de chacun. Et cela pour le bénéfice de tous, y compris pour la chaine de commandement qui n’a plus qu’à assurer son rôle de leadership et d’accompagnement pour faire grandir les collaborateurs. J’adhère à cette approche libérée de l’entreprise qui mise davantage sur la coopération et l’intérêt collectif que sur la contrainte et l’affirmation très exagérée des egos. Elle ouvre la voie du bonheur au travail. C’est du bon sens, et c’est tellement bon pour la performance qu’on aurait vraiment tort de s’en priver. Et cela tombe bien, car la maltraitance au travail et la souffrance en résultant, se révèlent à la fois moralement inacceptables et parfaitement contre-productives.
Le jour où la peur cessera de lui être un guide bien trop présent (sauf pour sauver sa peau), l’homme pourra aller là où il le doit, ni grimé, ni masqué, mais serein et revêtu de ses seules capacités, compétences et valeurs.