Pression

Mettre la pression : un rapport perdant – perdant !

Stéphane est chef de projets dans une ESN. La relation est bonne avec son client, il y travaille depuis plusieurs mois, et ils se connaissent bien.

Le projet de Stéphane mobilise 6 collaborateurs. Le projet marche bien, et quand il en a la possibilité, Stéphane fait profiter son client de l’avance qu’il prend sur son planning. A l’inverse, il arrive que pour des raisons diverses, le projet prenne un peu de retard. Comme la relation est bonne, le client n’en fait pas une affaire, et les délais sont accordés, sans problème. Bref, tout va bien.

Suite à un changement de politique dans l’entreprise, que d’ailleurs Stéphane ne comprend pas bien, il sent la relation se tendre. Non pas qu’on lui fasse des reproches, loin de là. On semble au contraire compter sur lui de plus en plus. Mais on lui met la pression : on lui demande de produire plus vite, de faire plus pour le même budget, de raccourcir les délais. Stéphane et leurs collaborateurs font de leur mieux, pour satisfaire leur client, sans toute fois réussir systématiquement ce qui leur est demandé : d’une part, les efforts supplémentaires ne sont pas tenables sur le long terme, et d’autre part il y a des impondérables.

Jusqu’au jour où le client impose à Stéphane un gain de productivité par rapport à son planning, qu’il a par ailleurs le sentiment d’avoir déjà optimisé : il faut accélérer les livraisons ! Les arguments utilisés font qu’il se sent obligé d’accepter, à contre cœur, et en sachant que tenir l’objectif imposé sera difficile. Il doit aussi gérer l’inquiétude de son équipe, qui fait déjà des efforts, et qui perçoit le gain de productivité demandé comme une pression vers la limite du réalisable.

Stéphane a le sentiment d’avoir été floué : il faisait déjà des efforts, en toute ouverture, et son client profitait de ses efforts. Or, au lieu de le reconnaître et de remercier l’équipe, son client en demande toujours plus, met la pression, utilise des moyens « persuasifs », et le laisse se débrouiller avec les effets de sa pression sur l’équipe et sur son entreprise.

Stéphane se sent agressé. Son réflexe est donc de se défendre : il négocie alors pied à pied tout ce qu’il peut négocier, et ce qui était gratuit (les conseils, les petits plus, les changements de programme…) devient monnaie d’échange. Il revient à la lettre de son contrat, qui heureusement est bien fait et lui donne une bonne marge de négociation.

Notamment, il masque systématiquement les gains sur planning, et se constitue une « réserve de temps » qui lui sert à compenser les impondérables et à maintenir un confort suffisant pour son équipe. Il n’est pas rare qu’il négocie de délais sur des programmes qui en fait son déjà réalisés, à l’insu de son client, pour se garantir une marge de sécurité.

Et ce qui était éventuellement livrable avec de l’avance est retardé au maximum. Quand aux petits plus qui faisaient partie de sa bonne relation avec son client, ils ont disparu.

Cette histoire, que j’ai pu observer très récemment, peut se résumer ainsi :

  • Le client de Stéphane a mis la « pression », espérant obtenir une accélération du projet, ce qui a suscité chez Stéphane une réaction de défense face à ce qu’il a perçu comme une agression.
  • De ce fait, les relations qui étaient bonnes se sont tendues, et ont dérivé vers une gestion très « contractuelle », générant plus de temps passé en négociations et autres vérifications, et augmentant sensiblement le temps passé à gérer la relation, des deux côtés (client et équipe de projet).
  • Les petits avantages dont bénéficiait le client ont disparu, et s’ils n’étaient pas mesurés, ils avaient un effet sensible sur la vie quotidienne du client. Ce que les opérationnels client n’ont pas manqué de regretter.
  • Enfin, l’avantage principal espéré, à savoir l’accélération du rythme des livraisons, n’a pas été obtenu, disparaissant sous la lourdeur des procédure et une baisse de qualité des livraisons (baisse toutefois compatible avec les normes contractuelles).

Bref, c’est raté.

Qu’aurait pu faire le client de Stéphane ?

A mon sens, et en premier lieu, expliquer à Stéphane les raisons qui le poussent à désirer une accélération des livraisons. Ensuite, établir en collaboration avec Stéphane ce qu’il était possible de faire, et monter ensemble un plan d’actions pour satisfaire au mieux le nouvel objectif, voire pour ajuster cet objectif. Reconnaître au passage la valeur du travail fourni et la valeur de l’investissement de l’équipe. Pour conserver au final une gestion souple et collaborative du projet, ce qui aurait d’ailleurs sans doute permis des gains supplémentaires bien qu’inconnus au moment de la négociation.

Cette situation est relativement fréquente entre clients et fournisseurs. Aussi avons-nous tendance à la banaliser, à tort, car elle est perdant – perdant.

Elle est malheureusement aussi répandue entre manager et collaborateur, avec les mêmes effets perdant – perdant. Pourtant l’approche est la même :

  • reconnaître la valeur du travail effectué,
  • expliquer le sens des demandes,
  • s’accorder avec les collaborateurs sur ce qui peut être fait, et avec quels moyens,
  • et encore reconnaître la valeur du nouvel effort.

Tout en gardant à l’esprit que les capacités humaines à l’effort ont leurs limites, et qu’il est utile de s’interroger sur la pertinence des objectifs que l’on se fixe.

 

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