Poursuivons dans la complexité.
Vous l’avez compris, le monde du vivant est complexe. Que ce soit une plante, un animal, un humain, un groupe d’humains, tous ces systèmes sont complexes. Et on ne peut jamais prédire avec certitude quelle sera la réponse de ces systèmes aux sollicitations qu’on leur fait. C’est particulièrement le cas dans une entreprise, qu’il s’agisse de l’entreprise elle même, d’un département, d’une équipe, ou d’un groupe de travail. Une entreprise, c’est par excellence un monde de complexité.

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Et pourtant, dans notre monde en changement permanent, il nous faut bien agir, transformer, faire évoluer : entreprendre la transformation digitale, par exemple, développer de nouveaux produits, conquérir de nouveaux marchés, ou plus modestement construire une équipe de projet ad hoc pour telle ou telle opération.

Alors comment faire pour agir avec un minimum de chances de faire aboutir nos projets dans cette complexité ?

Comme je vous le disais précédemment, nous devons mettre en œuvre 4 principes :

  1. Le non savoir,
  2. La perspective,
  3. L’imaginal,
  4. Le dialogique.

Que veut dire ce jargon ?

Le non savoir

Puisque dans le complexité il est impossible de prédire les comportements, est-ce que le plus simple, finalement, n’est pas :

  • de l’accepter,
  • d’apprendre à cheminer pas à pas,
  • dans l’ignorance de la suite,
  • et finalement d’être ouvert à toutes le possibilités ?

Est-ce que cette ouverture n’est pas ce qui permet de s’adapter en permanence à ce qui se produit ?

Imaginons le cas contraire. Celui d’un manager qui pense que son action sur l’équipe (par exemple, le déménagement dans un openspace confortable) aura un effet certain (dans notre exemple, il pense que les collaborateurs seront contents). Comment réagira-t-il si jamais les collaborateurs sont au final mécontents ? Acceptera-t-il facilement le mécontentement de ses collaborateurs, ou bien vivra-t-il dans la frustration, le mécontentement ? Et pour finir ne sera-t-il pas tenté de forcer ses collaborateurs à être contents ?
J’ai tendance à croire que s’il croit que le résultat de son action est certain, il sera frustré.
Alors que s’il espère contenter ses collaborateurs en les amenant dans cet openspace, mais qu’il n’en n’est pas complètement sur, il acceptera mieux leur mécontentement et sera plus même d’apporter les ajustements nécessaires.

La perspective

Quand on vit dans la complexité – et c’est notre quotidien – on a tendance à ne voir les choses que de notre propre point de vue. C’est naturel : nous voyons le monde à travers nos propres yeux, et à travers nos propres émotions. C’est limitant : nous oublions trop facilement que les autres ont un point de vue différent du notre, et qu’ils réagissent différemment de ce que nous pensons.

Notre manager a une voiture, et est souvent appelé en clientèle, ce qui fait qu’il reste peu au bureau. Mais ses collaborateurs ? Certains ont une voiture, mais une majorité se déplace en transports en commun. Or, l’openspace en question est à 20 minutes de la gare, au lieu des 5 minutes du lieu précédent. D’autre part, la nouvelle cantine est chère, et le quartier éloigné des commerces. On s’aperçoit soudain que les collaborateurs avaient certes un lieu de travail un peu vieillot, mais que le nouvel emplacement leur fait perdre des avantages qu’ils peuvent raisonnablement trouver importants…

Regarder le monde à travers des perspectives différentes (différents points de vues, postures différentes…) nous aidera non pas à trouver des solutions qui marchent à tous les coups, mais sans doute des solutions mieux adaptées, et surtout à réagir mieux aux réactions du monde qui nous entoure. C’est à dire avec plus d’agilité et plus de pertinence.

L’imaginal

Un problème, dans la complexité, c’est que non seulement les réactions ne sont pas prévisibles, mais en plus elles ont tendance à nous surprendre : ce qui se produit, souvent, on ne l’imaginait pas.

Un de mes amis a vendu récemment une petite parcelle de forêt, dont il avait hérité. Pris de curiosité, il a demandé à l’acheteur pourquoi il achetait ce terrain, s’attendant à une réponse comme « pour faire un investissement », ou « pour me faire une petite réserve de chasse ». A votre avis, qu’elle a été la réponse ?

« Pour organiser des rave parties » ! Vous y auriez pensé ?

Un de mes professeurs nous fait imaginer, pour une situation donnée, CINQ explications différentes. Nous sommes 15 dans le groupe de formation. A nous tous, nous trouvons au moins 20 explications vraiment différentes, et toutes sont plausibles. Qu’en pensez-vous ?

Le dialogique

Et en même temps… On s’est beaucoup moqué d’Emmanuel Macron et son « Et en même temps… ». Et en même temps… je crois qu’il a raison sur ce point ! Les situations sont rarement univoques, et la plupart du temps il y a plusieurs façons de les considérer.

La température peut être trop élevée pour l’un ET pas assez pour l’autre. Il ne fait pas trop froid OU trop chaud. Les collaborateurs ne manquent pas DANS L’ABSOLU de créativité. Ils sont créatifs dans certains domaines (même s’il s’agit du contournement des processus) ET passifs dans d’autres (même s’il s’agit de l’application rigoureuse de règles inadaptées). Etc…

Sortir de la logique du OU et adopter la logique du ET permet d’ouvrir notre champ de pensées et d’envisager des possibilités qui justement sont celles qui vont nous permettre de résoudre les situations que nous trouvons difficiles, du fait de la complexité du monde.

 

Prenons maintenant un exemple (simple ?).

Michel est chef de projets dans une ESN. Il se plaint de Sébastien qui arrive systématiquement en retard le matin. Pour lui, Sébastien est paresseux, et « n’a qu’à » se lever plus tôt le matin. On se lève tôt OU on ne fait pas ce boulot. Il décide donc de le « recadrer », convaincu qu’il le fera rentrer dans l’ordre. Pas de chance, le recadrage provoque la démission de Sébastien, qui par ailleurs est un expert réseaux reconnu.

Considérons maintenant la situation sous l’angle de la complexité.

Non savoir : Michel était convaincu que le recadrage permettrait de remettre Sébastien dans de bons rails. Pas de chance, il n’imaginait pas la démission de Sébastien. Rester ouvert à différentes possibilités de réactions lui aurait sans doute permis de le recadrer moins vertement et de rester ouvert à des ajustements.

Perspective : Il se trouve que Sébastien est marié, et que sa femme et lui ont eu un enfant quelques mois avant l’épisode que je vous raconte. L’enfant ne fait pas encore ses nuits, ce qui est épuisant pour les 2 parents. Michel le sait, mais l’a sans doute oublié. Se mettre dans la perspective de Sébastien aurait permis à Michel de mieux comprendre, et de faire preuve de plus d’ouverture.

Imaginal : Supposons que Michel ait pris un peu de temps pour imaginer différents scénarios. Il aurait pu prévoir différentes manières de régler la situation (permettre à Sébastien de travailler depuis chez lui, de rester plus tard, de passer un contrat de production, d’envisager un partage du travail de Sébastien avec un plus junior, etc.). Ces différentes possibilités lui auraient permis de négocier avec plus d’agilité une solution avec Michel.

Dialogique : On peut se lever tard ET être un bon professionnel, on peut avoir des soucis personnels ET désirer faire son travail correctement, on peut subir des contraintes fortes ET trouver des solutions ailleurs que dans la quantité de travail… Et c’est peut-être là que réside le potentiel le plus puissant : sortir des solutions les plus faciles (recadrer et mettre la pression) pour innover véritablement, en cherchant des solutions réellement différentes.

Le fin mot de l’histoire ? Sébastien se posait depuis un certain temps la question de partir ou pas de son entreprise. Le recadrage a emporté sa décision. L’affaire s’est finalement traitée aux prud’hommes. La complexité, c’est de l’inattendu, en permanence !

Je vous laisse maintenant réfléchir à quelques situations intéressantes :

  • La transition numérique d’une PME se fait mal, avec beaucoup de résistances…
  • Le nouveau responsable de projet est rejeté par l’équipe…
  • Vous êtes confronté à une situation de harcèlement…

Et pourtant, il est tout à fait possible de bien vivre dans la complexité.

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