objectifsJ’échangeais cette semaine avec une amie qui travaille dans une grande Entreprise de Services du Numérique. Elle me disait combien elle se sentait en décalage avec la culture de son entreprise, et combien son travail de commerciale, que fondamentalement elle aime, lui devient pénible dans le contexte dans lequel elle baigne. Elle me donnait pour exemple la manière dont sont gérés ses objectifs annuels.

Tout d’abord, ses objectifs lui ont été fixés, et notifiés, dans le courant du mois de juin. Ils lui ont été présentés par son directeur, qui lui a demandé en même temps de signer un document spécifiant ses objectifs, ainsi que les règles d’attribution de sa part de rémunération variable. Je dois préciser qu’il s’agit pour elle d’objectifs sur le chiffre d’affaires, donc sur la prise de commande.

Une analyse rapide du processus est riche d’enseignements.

Il s’agit d’abord d’objectifs sur la prise de commande. Or les commandes sont passées par les clients : ce sont eux qui décident de passer commande – ou non – en fonction de critères qui dépassent largement le travail de mon amie. Certes, ils passeront plus ou moins de commandes en fonction de l’efficacité de son travail, mais aussi en fonction des relations globales qu’ils ont avec son entreprise, de leurs budget (fonctions de leur propre stratégie), des prix pratiqués par les concurrents (voire de leur stratégie « d’achat » de clientèle) etc. Sans parler des soutiens qu’elle recevra en interne, variables eux aussi. L’influence du travail de mon amie sur l’atteinte de ses objectifs me paraît toute relative.

« Ses » objectifs lui ont été fixés. Elle n’a pas participé à leur définition. Ils lui ont été assignés selon des critères qu’elle devine mais qu’en réalité elle ignore. Et notamment elle n’a pas pu faire part de sa connaissance du terrain, des éléments de contexte qu’elle connaît et que sa hiérarchie ignore, ni des ressources dont elle aurait éventuellement besoin. Elle en plaisante d’ailleurs en disant que si ses objectifs étaient sous-évalués, sa hiérarchie n’aurait aucun moyen de le savoir.

« Ses » objectifs lui sont annoncés. C’est dire le peu de cas que l’on fait de son intelligence, en niant sa capacité de réflexion, de décision, et tout simplement de ressentir. On la traite comme une simple exécutante, à qui l’on dit ce qu’elle doit faire sans discussion possible. Elle subit. Nous savons tous qu’il n’y a rien de pire pour un être humain que de subir. Les psychologues vous diront que toutes les expériences dans lesquelles ont oblige un animal à subir, sans possibilité de réagir, le conduisent au mieux à la folie, au pire…

« Ses » objectifs lui sont annoncés en juin, soit un peu plus de 6 mois après le début de l’année. A un moment où les choses sont déjà bien engagées, peu de temps avant les vacances… peut-être plus près des 2/3 de l’année effective que de la moitié. Autant dire que ses possibilités d’agir sont encore plus réduites. Surtout si les objectifs qu’on lui « donne » remettent en cause la stratégie qu’elle a utilisée jusqu’ici faute d’avoir eu les directives plus tôt !

Mais le plus croustillant se trouve dans le document qu’on lui demande de signer. Il stipule que le versement de la part variable dépendra de l’atteinte des objectifs, mais aussi d’autres critères, tels que la « transparence de son activité », la « qualité d’encadrement » de son équipe, sa « participation active au renouvellement des offres »… « et cætera ». Que c’est son manager qui évalue l’atteinte de ces objectifs, qui paraissent bien vagues, sans compter un « et cætera » qui laisse beaucoup de place … à l’imagination dudit manager ! Mon amie conclut : « Je n’aurai ma part variable que s’il le veut bien. Autrement dit, si je lui plais. Ils sont tous habitués à ça, il n’y en pas un qui proteste. Mais quand il fait une bêtise, ils laissent tous faire aussi ! »

Récapitulons :

  • Les objectifs ne dépendent pas que d’elle, ils dépendent même beaucoup d’autres personnes.
  • Elle les subit, puisqu’ils lui sont assignés sans explication ni discussion possible.
  • Elle les subit d’autant plus qu’ils lui sont assignés très tard, à un moment où il devient difficile de changer le résultat de ses efforts.
  • De toutes façons elle ne touchera sa part variable que si son manager le veut bien, dans un arbitraire absolu.

Comment vous sentiriez-vous dans sa situation ? Pour ma part, je me sentirais pour le moins méprisé, et très démotivé. Une personne de mon entourage parle de déception, d’amertume et de rejet.

Je voudrais rappeler quelques fondamentaux qui pour finir ne relèvent que du bon sens :

  • Nous avons tous besoin de nous sentir respectés.
  • Avoir prise sur son environnement – et donc sur ses objectifs – est un besoin humain fondamental.
  • On oriente naturellement ses efforts vers ce qui est payant, et si la décision est arbitraire, on cherchera à séduire celui qui la prend plutôt que d’agir dans l’intérêt commun.

En termes d’objectifs, cela peut se traduire par :

  • donner prise aux collaborateurs sur leur propre réussite,
  • faire participer les collaborateurs à la définition de leurs objectifs,
  • utiliser les critères d’évaluation les plus équitables possibles, et les faire connaître,
  • privilégier les objectifs de moyens – qui dépendent de nous – aux objectifs de résultats – beaucoup plus aléatoires.

C’est la rentabilité de l’entreprise qui en dépend. Parfois sa survie.

 

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